
Le court texte du syrien Omar Aziz sur la formation des conseils en Syrie pendant le soulèvement contre le régime d’Assad. Reposté depuis le blog Le Conseil.
Une révolution est un événement exceptionnel qui altère l’histoire des sociétés tout en transformant l’humanité elle-même. C’est une rupture dans le temps et l’espace, où les êtres humains vivent entre deux périodes : la période du pouvoir et la période de la révolution. Cependant, la victoire d’une révolution réside dans l’indépendance qu’elle acquiert vis-à-vis de son propre temps afin d’entrer dans une nouvelle ère.
La Révolution syrienne est entrée dans son huitième mois et continue sa lutte pour renverser le régime et ouvrir de nouveaux horizons à la vie. Le contrôle autoritaire sur les territoires est relativement présent, mais son ampleur varie selon les régions, les jours, et même les heures au sein d’une même journée. Par le passé, des manifestations continues ont pu briser la domination du pouvoir absolu dans certaines zones. C’est la persistance de ces manifestations qui a permis la création d’un Conseil National regroupant un large éventail de mouvements de masse, d’organisations et de partis politiques, sur lesquels repose l’espoir d’une autorité alternative légitime aux yeux des communautés arabes et internationales. Le Conseil National est donc impératif pour mener à bien les efforts nécessaires afin de protéger le peuple syrien du régime et de sa brutalité.
Cependant, le mouvement révolutionnaire reste indépendant des activités humaines quotidiennes et peine à s’immiscer dans la vie de tous les jours. Bien que la population continue à gérer ses affaires comme par le passé, il existe une « division du travail quotidien » entre les activités ordinaires et les activités révolutionnaires. Cela signifie que les structures sociales en Syrie évoluent dans deux temporalités qui s’entrecroisent : la période du pouvoir, où le régime administre encore les affaires du quotidien, et la période de la révolution, où les militants œuvrent quotidiennement pour le renversement du régime. Le risque ne réside pas dans cette superposition des deux périodes – car c’est dans la nature des révolutions –, mais dans l’absence de corrélation entre la vie quotidienne et le mouvement révolutionnaire lui-même. Ainsi, la crainte qui pèse sur le mouvement dans les temps à venir repose sur deux éventualités : soit une lassitude de la population face à la continuité de la révolution et à son impact sur leur quotidien, soit une escalade vers l’usage intensif des armes, qui réduirait la révolution à une prise d’otage par les armes.
Par conséquent, la capacité des individus à se détacher progressivement de la structure sociale placée sous l’autorité du régime et à séparer la « période du pouvoir » de la « période de la révolution » déterminera le succès du mouvement et sa capacité à créer un climat de victoire. Il faut se rappeler que les mois écoulés ont permis d’expérimenter divers domaines, notamment le soutien médical et juridique d’urgence. Aujourd’hui, il est impératif d’enrichir ces initiatives en les étendant à d’autres aspects de la vie quotidienne. L’intégration de la révolution dans la vie quotidienne est une exigence inhérente à sa continuité et à sa victoire. Elle requiert une structure sociale flexible, fondée sur la collaboration entre le mouvement révolutionnaire et les activités quotidiennes des citoyens. Cette structure sera appelée : le conseil local.
Objectifs et Rôle des Conseils Locaux
L’objectif de cette introduction, ainsi que de la discussion qui suivra, est d’examiner la faisabilité de la création de conseils locaux composés de membres issus de divers milieux culturels et appartenant à différentes divisions sociales, mais travaillant ensemble pour atteindre les objectifs suivants :
- Soutenir la population dans la gestion autonome de leur quotidien, indépendamment des institutions et agences étatiques.
- Créer un espace d’expression collective encourageant la coopération des individus et favorisant les activités politiques et quotidiennes.
- Initier des actions sociales révolutionnaires à l’échelle locale et unifier les cadres de soutien.
Au fil du temps, la vie quotidienne des individus et des familles s’est transformée en une quête permanente de lieux plus sûrs où vivre. Parallèlement, une grande partie du travail quotidien est consacrée aux recherches incessantes des proches disparus, les familles s’efforçant d’obtenir des informations sur les lieux de détention en s’appuyant sur leurs propres réseaux et connaissances.
Le rôle des conseils locaux consiste à transférer cette détresse, qui relève habituellement de la « période du pouvoir », vers un processus novateur impliquant une initiative communautaire unique.
Les conseils locaux devront au minimum :
- Offrir un logement sécurisé aux familles récemment déplacées et leur fournir les ressources nécessaires, en coordination avec les conseils locaux des régions d’origine.
- Recueillir des informations sur les détenus et transmettre ces données aux instances révolutionnaires concernées. Ils devront contacter les autorités juridiques et soutenir les familles en assurant un suivi des conditions de détention de leurs proches.
- Gérer les demandes d’aide des familles touchées et veiller à l’obtention de financements à travers des aides publiques ou des « fonds révolutionnaires régionaux ».
Ce travail nécessite une organisation efficace, une gestion rigoureuse de l’information et des compétences administratives. Toutefois, ces défis sont surmontables, d’autant plus que la révolution a déjà formé une génération d’experts en organisation de manifestations, de grèves et de sit-in.
Échange entre les Individus : La formation de Nouveaux Participants
Les conseils locaux doivent offrir un espace de dialogue où les citoyens peuvent échanger et chercher des solutions à leurs problèmes quotidiens. Ils doivent aussi établir des liens horizontaux entre les conseils locaux d’une même région et élargir ces connexions à d’autres régions.
Le rôle des conseils locaux est donc d’activer la coopération entre citoyens et de l’ancrer dans leur quotidien. Cela inclut :
- Encourager la population à discuter de leur situation et à résoudre collectivement des problèmes spécifiques liés à leur subsistance.
- Identifier les problématiques nécessitant des solutions dépassant l’échelle locale, notamment en matière de financement et de soutien externe.
Le sujet de la terre : une réappropriation collective
L’État syrien a mis en place des politiques d’expropriation et de redéploiement de la population afin de garantir son emprise sur le pays. Le mouvement révolutionnaire, particulièrement actif dans les zones rurales et périurbaines, représente une forme de rejet de ces stratégies de marginalisation.
Les conseils locaux doivent donc :
- Intervenir rapidement en cas de décisions d’expropriation.
- Mobiliser les réseaux juridiques de la révolution pour contester ces décisions devant les tribunaux.
- Faire de la défense des terres une cause collective mobilisant les habitants.
Configuration et Mise en Place des Conseils Locaux
La mise en place de conseils locaux dépendra de la liberté de mouvement dans chaque région. Elle sera plus difficile dans les zones fortement contrôlées par le régime et plus accessible dans celles où le mouvement révolutionnaire est plus puissant.
Le processus devra se faire progressivement, en fonction des besoins et des interactions de la population. Le succès des conseils sera évalué à travers leur capacité à attirer de nouveaux membres et à répondre aux attentes locales.
Le Rôle du Conseil National
Le Conseil National devra assurer :
- La légitimité de l’initiative en l’adoptant officiellement pour encourager son acceptation par les militants.
- Le financement des conseils locaux via les « Fonds de la Révolution ».
- La coordination entre les régions afin d’unifier les efforts et renforcer l’organisation au niveau national.
L’indépendance et la flexibilité du mouvement révolutionnaire doivent être préservées, mais une interconnexion entre les conseils locaux est essentielle pour maximiser leur impact et assurer la pérennité de la révolution.