De K La Revue
« Pour vous, la décolonisation, c’est quoi ? », peut-on lire dans un tweet hyperviral qui a circulé après le 7 octobre.
Alors que la violence antisémite a éclaté au Canada, je ne résiste pas à l’envie de me demander si c’est là aussi « ce que la décolonisation signifie ». Lorsqu’une école juive est la cible de tirs, s’agit-il de décolonisation ? Rappelons que cinq attaques à l’arme à feu ont été perpétrées contre des écoles juives canadiennes depuis octobre 2023. Et lorsqu’une synagogue est la cible d’une bombe incendiaire ? Après tout, je ne vois pas en quoi un juif au Canada est moins un colon qu’un juif à l’intérieur des frontières d’Israël de 1948. Et il faut admettre que la plupart des institutions juives canadiennes sont sionistes, de sorte que si le « sionisme » est le seuil justifiant le meurtre, alors la vie de leurs membres est également menacée.
Phoebe Maltz-Bovy, rédactrice au Canadian Jewish News, a déjà posé la question : « Où, sur la planète Terre, un juif ne serait-il pas considéré comme un colon ? »[1]. Les personnes qui attaquent les synagogues de Montréal considèrent les Juifs de cette ville comme un élément étranger, tout comme le Hamas considère les Juifs du Moyen-Orient comme un élément étranger. De fait, une bonne partie de l’histoire juive consiste en la persistance des Juifs dans des endroits où la population locale les méprise, une vérité qui coexiste mal avec la division manichéenne entre colons et indigènes. L’installation des Juifs en Europe au cours du Moyen-Âge relevait de la volonté du souverain. Dans les périodes de rébellion des paysans, des nobles ou des bourgeois, la présence juive devenait elle-même une manifestation de l’oppression du souverain.
Les références aux Juifs en tant que colons sont bien antérieures au sionisme. Pendant la Révolution française, des rumeurs ont circulé selon lesquelles l’octroi de l’égalité aux Juifs signifierait la transformation de l’Alsace en une « colonie des Juifs ». Pour Lorenzo Veracini, éminent spécialiste des études coloniales, « les histoires de vampires sont intrinsèquement des histoires coloniales… les vampires, après tout, sont des êtres pâles et exotiques qui vident la terre et sont obsédés par l’idée de la posséder [sic] »[2]. Ce n’est pas un hasard si le vampire — impie, avaricieux, immortel, atavique, parasite, mystique, buveur de sang, lubrique, « pâle et exotique » — coche toutes les cases de la typologie antisémite. Il en va de même pour la perception commune d’Israël comme société fondamentalement artificielle, appropriative plutôt que productive, internationale plutôt qu’enracinée, un vampire parmi les nations.
Benjamin Wexler est un écrivain basé à St. Louis, Missouri, USA et récemment diplômé de l’Université McGill à Montréal, Canada.