Trump 2.0 dans le Sud global : entre désastre annoncé et bienveillance paradoxale, par François Polet – 28 février 2025

Quelles conséquences les premières mesures de Trump ont-elles sur les pays en développement ? Si elles sont globalement désastreuses, une forme de bienveillance « paradoxale » prévaut dans le Sud global à l’égard de la nouvelle administration.

Le démantèlement de l’Usaid et la prise de plusieurs mesures ultraprotectionnistes dans le cadre de l’« America first » soutenu par Donald Trump portent gravement préjudice aux pays en développement et, partant, à l’équilibre mondial. – Photo News

Notre paysage médiatique est logiquement dominé par la sidération européenne face au retournement d’alliance états-unien. Pour autant la nouvelle administration américaine a des conséquences à grande échelle sur d’autres parties du monde, notamment dans le Sud global. Et le moins que l’on puisse dire est que l’effet Trump sur les économies et sociétés des pays en développement, déjà désastreux, pourrait devenir catastrophique. La nocivité des mesures prises ou annoncées relève de l’évidence. Le démantèlement en cours de l’agence d’aide – l’Usaid – met à l’arrêt des programmes humanitaires qui soutiennent des millions de personnes parmi les plus vulnérables de la planète, notamment en matière de santé publique, alors que les Etats-Unis se retirent parallèlement de l’OMS, au détriment de la lutte contre les pathologies dans les régions les moins équipées. La politique anti-migrants, outre qu’elle piétine allègrement leurs droits, devrait tarir le flux des remesas, ces transferts monétaires dont dépendent des millions de familles au sud du Rio Grande (près de 50 % de la consommation des ménages au Nicaragua).

Sur le plan économique, l’adoption de la réciprocité commerciale impactera les exportations des pays en développement ayant des droits de douane supérieurs à ceux des Etats-Unis, en particulier les pays entretenant un excédent commercial important vis-à-vis d’eux (Mexique, Vietnam, Inde). La hausse prévisible des taux directeurs de la Réserve fédérale (contre l’inflation causée par le renchérissement des importations) augmentera la part, déjà considérable, des budgets des pays pauvres consacrée au remboursement de leur dette extérieure (contractée en dollars), au détriment des dépenses de santé ou d’éducation.

Un affaiblissement du système multilatéral

Au nom de l’« America First » toujours, la nouvelle administration envisage par ailleurs de récupérer les fonds états-uniens de la Banque mondiale, du FMI et d’autres banques multilatérales, dont les prêts sont essentiels à la stabilité financière et au financement du développement des pays en difficulté, en dépit des prescriptions problématiques qui les accompagnent.

Mais l’effet le plus massivement désastreux du retour de Trump aux affaires pour les habitants du Sud global réside bien entendu dans le sabotage de la lutte contre le dérèglement climatique, dont les principales victimes vivent très majoritairement en Afrique et en Asie.

Dans l’ensemble, les pays en développement ont beaucoup à perdre de l’affaiblissement du système multilatéral provoqué par la diplomatie trumpienne. Une intensification de la coopération internationale est indispensable pour répondre collectivement et solidairement aux défis mondiaux. Si l’architecture de la gouvernance globale est datée, l’enjeu est de la réformer pour la rendre plus équitable, démocratique et efficace – ce qui était bien le message porté par les représentant·es du Sud lors du « Sommet de l’avenir » des Nations unies il y a quelques mois – et non pas de la liquider. Un monde dans lequel le droit international, dont on sait bien sûr que l’application demeure inégale et insatisfaisante, est remplacé par le règlement entre puissances sera nécessairement inhospitalier pour les Etats les plus faibles, majoritairement situés au Sud faut-il le rappeler. Davantage encore que l’Ukraine aujourd’hui, dont les pays européens s’érigent en défenseurs, ces pays pauvres souvent riches en ressources naturelles seront des oiseaux pour le(s) chat(s).

Une aubaine pour les régimes autoritaires

A la différence des circonvolutions européennes, les président·es latino-américain·es progressistes (du Mexique, de Colombie, du Brésil, etc.) ont dénoncé sans ambages l’unilatéralisme brutal de Washington. Pour autant, force est de constater que nombre de régimes du Sud global voient d’un bon œil les tendances néo-impérialiste, souverainiste et illibérale du Président états-unien, en ce qu’elles légitiment leurs propres visées expansionnistes et/ou confortent leur style autoritaire d’exercice du pouvoir. La diplomatie isolationniste et transactionnelle de Trump ne s’embarrasse manifestement plus de la gouvernance interne des pays avec lesquels elle traite. Cette remise en question des dimensions universalistes de l’ordre international libéral fait le bonheur des puissances révisionnistes. Pour un régime illégitime, un Trump vaut potentiellement mieux qu’un Biden, à moins de poser un problème sécuritaire singulier aux Etats-Unis, cas de l’Iran.

Plus surprenante est l’appréciation positive de Trump dans de larges pans des opinions publiques du Sud global, jusque dans ces pays qualifiés de shithole par l’intéressé lors de son premier mandat. Nombre d’indices montrent que cette bienveillance tient à l’existence de puissants courants d’opinion conservatrice dans les sociétés du Sud, en affinité avec les discours « anti-genre » de Trump (et Poutine…), ainsi qu’au profond ras-le-bol de « l’hypocrisie occidentale » et du double standard en matière de démocratie et de droits humains. Pour autant cette bienveillance paradoxale a toutes les chances de se retourner à mesure que se manifestera cet interventionnisme impérial d’un nouveau genre. A l’instar de la colère suscitée en Afrique du Sud par l’ingérence de Trump en matière de législation foncière… au nom de la défense de la minorité blanche.

François Polet est docteur en sociologie, chargé d’étude au Centre tricontinental – Cetri, et auteur ou coordinateur de plusieurs études et publications sur l’Afrique subsaharienne et la république démocratique du Congo.

Cet article a d’abord été publié dans Le Soir.

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